9 juillet 2025 - 07:00
Lettre ouverte
Projet de loi C-5 : la dérive dangereuse d’Ottawa
Par : La Pensée de Bagot

Le projet de loi C-5, imposé sous bâillon par le gouvernement libéral avec l’appui du Parti conservateur, constitue une menace assez inusitée pour les processus démocratiques. Il institutionnalise une nouvelle gouvernance fondée sur l’arbitraire et le copinage, pour le plus grand bonheur des riches pétrolières qui ont leurs accès privilégiés à Ottawa.

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Un projet de loi avec d’aussi vastes répercussions mérite d’être soumis au débat, d’être étudié, analysé rigoureusement jusque dans ses moindres détails, et non d’être l’objet d’un passe-droit de la sorte. Les décisions se prendront de plus en plus derrière les portes closes, faisant fi des bases d’un État démocratique digne de ce nom. C-5 est tout sauf une mesurette sans envergure. De quoi s’agit-il?

Arbitraire et copinage

Le projet de loi C-5 met en place un processus opaque où les promoteurs de grands projets énergétiques peuvent soumettre des propositions en secret, observées confidentiellement par Ottawa, qui déterminera de façon arbitraire s’ils entrent dans la définition de l’intérêt national – sans que les critères sur ce concept ne soient clairement indiqués. Après avoir décidé qu’un projet est d’« intérêt national », ledit projet peut être soustrait à l’analyse d’impacts environnementaux, aux habituelles consultations des citoyens et citoyennes touchés, au respect des provinces et des peuples autochtones.

Dès que le ministre responsable des grands projets signera un décret pour désigner qu’un projet est d’« intérêt national », celui-ci sera préapprouvé. Le reste n’est plus que formalité, et tout retour en arrière devient impossible. Consultations, évaluations d’impacts : tout cela ne servira à rien, car la décision sera considérée comme finale. Aucune balise dans la manière dont le ministre devra évaluer le projet n’est prévue ni aucun critère d’évaluation des impacts, pas plus qu’aucun délai dans les consultations. Ces processus finiront par n’être que du théâtre.

Ces projets prennent généralement des années à se réaliser. En décidant qu’un projet est d’intérêt national et qu’il doit se réaliser à tout prix, Ottawa lie les mains des générations qui suivront.

Là ne s’arrête pas le sombre portrait de C-5.

Treize lois et sept règlements sont inscrits à l’annexe du projet de loi, lesquels ne seront plus obligatoires pour les promoteurs, comme si la puissance des pétrolières les exemptait de l’imputabilité qui devrait s’imposer. L’article 21 du projet de loi précise même que le gouvernement peut, par décret, soustraire les promoteurs de l’application de toute loi, et pas uniquement de celles dont nous venons de faire mention. Ainsi, sur papier, les pétrolières pourraient être exemptées de la Loi sur les langues officielles, de l’impôt sur le revenu, du Code du travail, du Code criminel, etc. Un précédent grossier et dangereux! Un gouvernement qui puisse mettre ses amis à l’abri des lois, ne trouvez-vous pas que cela ressemble à ce qui se passe à Washington?

Alors qu’en élection, les libéraux agitaient la peur de Donald Trump pour faire oublier leurs dix années au pouvoir, il semble plutôt qu’ils soient dans les faits en train de bâtir le 51e État américain en instituant une gouvernance par décret qui n’a rien à envier à celle qui se dessine à la Maison-Blanche.

Les troupes de Mark Carney ont aussi pris le pouvoir avec pour seule qualité de ne pas être les conservateurs de Pierre Poilievre. Or, ils s’entêtent aujourd’hui à les imiter, si bien qu’on se demande ce qu’attendent les conservateurs avant de poursuivre les libéraux pour plagiat.

Toujours plus de centralisation

Nous assistons de surcroît à une nouvelle phase de mutation prédatrice et vampirique de ce système que l’on appelle à tort le fédéralisme.

L’article 8(3) de C-5 nous dit plutôt que : « Avant de recommander la prise de tout décret […], le ministre consulte tout autre ministre fédéral et tout gouvernement provincial ou territorial qu’il estime indiqués de même que les peuples autochtones dont les droits reconnus et confirmés par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 pourraient être lésés par la réalisation du projet visé par le décret. »

Un ministre est ainsi libre de consulter le Québec pour un projet qui se trouverait en territoire québécois… ou de ne pas le faire. Et si le résultat d’une éventuelle consultation devait être négatif, la loi lui permettra de procéder tout de même.

Ottawa cherche à accélérer l’unification du Canada au détriment de la différence québécoise et des Premières Nations. On remerciera néanmoins les libéraux et les conservateurs pour cette énième démonstration de la nécessité, pour les Québécoises et Québécois, de se donner un pays indépendant bien à eux et à elles. J’apprécie leur générosité, mais nous ne manquions déjà pas de raisons…

Simon-Pierre Savard-Tremblay,

député de Saint-Hyacinthe–Bagot–Acton et porte-parole du Bloc québécois en commerce international et en défense nationale

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